Charles Elias Chartouni: Le conflit israélo-palestinien au croisement d’un double déni/شارل الياس شرتوني/النزاع العربي-الإسرائيلي على تقاطع انكارين

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Le conflit israélo-palestinien au croisement d’un double déni
Charles Elias Chartouni/May 20/2021
شارل الياس شرتوني/النزاع العربي-الإسرائيلي على تقاطع انكارين

“La justice délivre de la mort”, Livre des Proverbes,10:2

La reprise des affrontements entre israéliens et palestiniens et les relents nihilistes d’une violence sans fin, nous ramènent aux non-dits d’un conflit qui a longuement buté sur des dénis, et un héritage lourd de méconnaissance mutuelle qui ont ruiné les chances d’un règlement négocié tout au long des sept décennies (1948-2021): le droit respectif à l’existence nationale. Ce legs a pourtant été précédé par des négociations entre le Yishuv (communautés juives proto-nationales) et les communautés proto-nationales en milieu arabe, des conflits alternés qui ont mené à la guerre de 1948, la proclamation de l’État d’Israël, et la résolution 181 des Nations Unies (29 Novembre 1947) qui ratifiait le partage des territoires ( 56/100 au Yishuv, 44/ 100 aux palestiniens) et entérinait la reconnaissance de deux États, sans pour autant enrayer les conséquences délétères des remaniements démographiques induits par la guerre, et l’émergence du problème des réfugiés palestiniens dans les États avoisinants (Jordanie, Liban, Syrie, Égypte). Ce conflit originaire finira par sceller l’émergence de deux nationalismes concurrents qui s’articulent sur des exclusions mutuelles et des anathèmes hypostasiés en crédos politique et idéologique.

La guerre de 1967 et ses relents messianiques du côté israélien, doublée de l’ostracisme idéologique du côté palestinien et de l’émergence du mouvement national palestinien opérant à partir des territoires mitoyens (Jordanie, Liban, Syrie, Égypte), les lignes de démarcation de la guerre froide internationale et arabe, et l’action terroriste déterritorialisée menée de concert avec les mouvances extrémistes de la gauche marxiste, ont fini par créer le terreau à des conflits aux intrications multiples. Les échecs alternés en Jordanie et au Liban, les négociations souterraines entre Israël et l’OLP, les effets inducteurs des négociations du Camp David (1978-1979) qui ont scellé le premier traité de paix entre les pays arabes et Israël, ont pavé la voie à un réalisme politique dans les deux sens, et au renoncement à la violence comme unique recours. Les accords de Madrid et d’Oslo (1991-1993) ont mis fin, pour la première fois, à la logique de la méconnaissance mutuelle, aux anathèmes idéologiques, et inauguré une nouvelle dynamique basée sur la solution des deux États et d’un espace économique intégré, qui devrait déboucher sur une normalisation des rapports entre les deux peuples, la dé-construction des mythologies exclusivistes et meurtrières, et la mise en œuvre de stratégies de développement concerté.

Cette dynamique a été mise à mal et discréditée par les louvoiements de l’autorité palestinienne, l’assassinat d’Itzhak Rabin par la droite nationaliste extrémiste qui rejetait le plan projeté de normalisation, la succession des “intifadas” et la résurgence des islamismes palestiniens comme force de contestation, ont remis en question la représentativité de l’OLP et le processus politique auquel elle est associée. Cette dynamique inédite dans l’histoire du conflit, a fini par être relayée par une contre-dynamique annexionniste impulsée par la droite nationaliste en Israël, et un nationalisme résolument islamiste qui s’inscrit dans une logique nihiliste s’inspirant de l’islamisme meurtrier de la Qaida et de DAECH. À cela s’ajoutait l’éclipse dramatique des courants de la paix en Israël, la mise en place d’un projet d’État unitaire (statut national univoque et conditions équivoques de citoyenneté commune) du côté israélien, et la régénération du récit négationniste du côté palestinien ( pas de paix, pas de négociation, pas de reconnaissance), doublées d’une démarche politique dé-contextualisée et unilatérale en Israël, et d’une politique de subversion pilotée par les islamistes palestiniens sous la houlette de l’Iran. Le projet de la “paix abrahamique” aurait pu offrir des chances réelles s’il avait réussi à associer l’Autorité Palestinienne à la mise au point de cette dynamique, et la relance du règlement sur la base des deux États. Les intentions sournoises qui sous-tendent, de part et d’autre, la solution de l’État unitaire sont de mauvais augure et laissent présager la perpétuation des dénis et leurs verrouillages croisés.

Cette omission délibérée a fini par entamer la crédibilité de l’Autorité Palestinienne, nourrir les ressentiments des arabes israéliens, créer le terreau de contestation nécessaire à l’islamisme palestinien, et promouvoir la politique iranienne de sabotage. les querelles autour de Jérusalem ( 536000 juifs, 319800 musulmans, 15800 chrétiens, 10300 non classifiés) ne remontent pas à hier, tant au niveau de la symbolique religieuse, que des querelles de circonscriptions ou de titulatures. La surdétermination symbolique des conflits en cours témoigne de la pérennité des conflits historiques, du retour du refoulé, de la méfiance et du rejet qui sapent toute démarche irénique. Le retour de la médiation américaine sur la base de l’accord abrahamique révisé en amont, est incontournable afin de redonner aux négociations des assises réelles, mettre fin aux politiques du fait accompli, court-circuiter les politiques iraniennes de sabotage et leurs consorts, casser les plateformes idéologique et opérationnelle du Hamas, et redonner voix aux courants modérés en vue de relancer les négociations sur la base des deux États et des espaces économiques intégrés.

La guerre en cours s’inscrit dans le sillage des apories de l’accord abrahamique, des conflits ouverts entre l’OLP et Hamas illustrés par la suspension des élections nationales palestiniennes, les conflits de pouvoir, et les différends stratégiques à maints égards (paix avec Israël, instrumentalisation de l’autonomie nationale palestinienne, et nommément le rapport actuel à l’Iran); les difficultés de formation de coalitions gouvernementales stables en Israël répercutent des enjeux statutaires se rapportant à la nature de l’État et ses incidences sur la cohésion nationale et les enjeux stratégiques actuels. La politique de sabordage de l’Iran sert de relais à sa politique de déstabilisation régionale, et donne lieu à une politique de rétorsion ferme qui peut, éventuellement, déboucher sur la destruction de la plateforme opérationnelle du Hamas et ses conséquences humanitaires tragiques causées par l’exiguïté du territoire et ses insuffisances structurelles à tous égards, et remanier la donne politique israélienne au profit de Benjamin Netanyahu.

Le discours meurtrier du Hamas n’est qu’une des variantes du terrorisme islamiste, et de l’instrumentalisation continue de la question palestinienne par les politiques de puissance arabe et islamique, et les délires messianiques de la droite nationaliste en Israël, sont loin de pouvoir créer les conditions d’une solution réaliste, durable et équitable. L’illusion d’une solution militaire (les missiles du Hamas et du Hezbollah), et les projections d’une guerre civile en Israël, ne sont que des élucubrations que la population de Gaza et les palestiniens n’ont cessé de payer au prix fort, alors que les israéliens ne peuvent, sous aucun rapport, avaliser des atteintes à leur sécurité nationale. Il faudrait se saisir de cette dérive et se dessaisir de ses déraillements imaginaires, et relancer les négociations de la paix. Le discours de la haine à l’endroit du juif et de l’israélien n’a rien d’éthique, de rationnel, ou de réaliste comme le supputent la gauche antisémite, les nationalistes arabe et syrien de jadis, et les islamistes d’aujourd’hui. Sinon, la droite nationaliste en Israël gagnerait à se déprendre des mythes politico-religieux, se situer dans un temps réel, et reprendre, à son propre compte, les exigences éthiques de la justice biblique(Tsedeq). Ce n’est qu’au prix d’une telle réconciliation avec la réalité et d’une conversion éthique, qu’on viendrait à bout de la violence mimétique et des malheurs qui en découlent.