Charles Elias Chartouni/Le génocide arménien*, la reconnaissance américaine et les dilemmes d’un meurtre fondateur/شارل الياس شرتوني: المجزرة الارمنية، الاعتراف الاميريكي واشكاليات جريمة تأسيسية

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Le génocide arménien*, la reconnaissance américaine et les dilemmes d’un meurtre fondateur
Charles Elias Chartouni/April 27/2021
شارل الياس شرتوني: المجزرة الارمنية، الاعتراف الاميريكي واشكاليات جريمة تأسيسية

Malgré les enjeux et difficultés aussi bien moral que politique qu’évoque le génocide arménien (1894- 1924, 1.500000-1.800.000)et ses corollaires grec, assyro-chaldéen, syriaque (1.400.000), la grande famine qui a décimé la montagne maronite (200.000 victimes entre 1915-1918), les transferts de population, la destruction des terres ancestrales de l’ensemble de ces communautés ethno-nationales, et la répudiation turque des traités successifs de Sèvres (1920,1921) qui concédaient aux arméniens la majeure partie de l’Arménie occidentale, la Thrace Orientale aux grecs, et le statut d’autonomie aux Assyro-Chaldéens au sein de la présumée province kurde autonome, et un siècle de recherches sur les sujets en question**, la Turquie s’installe dans un déni aussi pathologique que conflictuel. Loin de s’en étonner, cela fait partie d’une amnésie forcée par un ethos collectif qui ne se reconnaît pas dans les notions de culpabilité morale et métaphysique (la banalité du mal, Banalität des Bösen), ou même celles d’une culture de la honte qui a du mal à s’accommoder avec la réputation ternie par le sang.
Cette culture du déni a été remise en question par le grand écrivain turc Orhan Pamuk, l’historien Taner Akçam qui a étudié les correspondances se rapportant au génocide*, le petit fils de Cemal Pacha, Hassan Cemal reconnaît que la Turquie a été maintenue dans l’obscurité quant aux réalités du génocide arménien moyennant une politique étatique négationniste, comme le dit Vincent Duclert “on est dans la recherche d’un passé enfoui sous la superstructure de la république…., la question est de faire baisser le nationalisme qui nourrit le négationnisme “, le politologue Gengis Aktar lance une pétition en 2008, en coordination avec d’autres intellectuels, en vue de demander pardon aux arméniens ” pour la grande catastrophe qu’ils ont subie en 1915″. Dans son livre “l’appel au pardon“***, Aktar estime que “le temps de l’action est venu, et qu’il y’a une tentative sérieuse de développer une politique de la mémoire.” Par ailleurs, l’usage du label de la grande catastrophe au lieu de génocide trahit une incapacité à pouvoir assumer le qualificatif génocidaire “Bien sûr que c’est un génocide, mais le mot ne passerait jamais. La reconnaissance par l’État comme préalable est irréaliste “, concède t’il. La militante des droits de l’homme au sein de l’association IHD, Ayse Gürnaysu, considère,en revanche, que “sans reconnaissance rien ne peut se passer. C’est une position morale. Nous devons tous ressentir cette honte”. Taner Akçam****, estime pour sa part qu’il doit sa conversion à Hassan Cemel et au journaliste arménien assassiné par les Islamo-nationalistes, le courage du premier, selon lui, a marqué un tournant “c’est lui qui a déverrouillé mon esprit, [alors que] que c’est Hrant Dink qui a ouvert mon cœur”.
Le révisionnisme de l’islamisme néo-ottoman propulsé au devant de la scène politique et médiatique par Erdogan, s’inscrit dans la continuité du negationnisme turc et s’articule sur des prémisses idéologique et stratégique similaires à celle des génocides du début du XX siècle, et tente de les instrumenliser au profit d’une nouvelle politique impériale, amplement attestée dans le dernier conflit du Nagorno-Karabakh, où Erdogan a clamé, haut et fort, son alignement sur la politique génocidaire du siècle dernier, et affiché son intention de détruire la partie Est de l’Arménie historique qui correspond à l’actuelle république d’Arménie. La reconnaissance du génocide arménien par la Présidence américaine (24 Avril 2021) succède à la déclaration commune des deux chambres du Congrès Américain( 12 Décembre 2019), et marque une étape essentielle dans la formalisation de la reconnaissance du Génocide Arménien par les États Unis, la nécessité de poursuivre le travail diplomatique en vue de la reconnaissance par l’ensemble de la communauté internationale, la consolidation du débat au sein des cercles intellectuel et politique en Turquie, et la continuation de la lutte pour les politiques de réparation, de renégociation des droits sur les territoires de l’Arménie occidentale sous occupation Turque, et de l’endiguement des velléités néo-impériales de l’islamisme turc. La démarche du Président Biden s’avère de bon augure, sous maints rapports, et surtout au niveau de la mise en phase des impératifs de la Realpolitik et des valeurs de la démocratie libérale et ses connotations en politique étrangère.
* Benny Morris, Dror Ze’evi, The Thirty-Year Genocide, Turkey’s
Destruction of its Christian Minorities, Harvard 2019.
**Le génocide des arméniens, un siècle de recherche, 1915-2015,
Armand Colin, 2015.
*** Gengis Aktar, l’appel au Pardon, des turcs s’adressent aux
arméniens, CNRS, 2010.
****Taner Akçam, Shameful Act, From Empire to Republic, Turkish
Nationalism and Armenian Genocide, Henry Holt and Cie, 2007.
Killing orders, Talat Pasha’s Telegrams and the Armenian
Genocide, Palgrave-Mc Millan, 2016.
*****Les photos ont été prises lors de la célébration du vote du
Congrès Américain de la résolution qui a reconnu les génocides arménien, assyro-chaldéen, syriaque et la famine maronite (12 décembre 2019), Raffi Hamparian (Armenian National Committee),Toufic Baaklini, Richard Gazal, Charles Chartouni ( in Defense of Christians).