Youssef Mouawad/L’Orient-Le Jour: Walid Pharès ou la revanche de l’isolationnisme

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Aussitôt Donald Trump élu président, et à peine étions-nous revenus de notre « divine surprise », qu’un message nous parvenait s’en prenant à Walid Pharès, Libanais de souche, promu conseiller aux affaires étrangères du nouveau maître du monde. Le texto, rédigé en arabe, ne cachait pas ses intentions assassines. Circulant sur les réseaux sociaux, et sonnant l’alarme, il soulignait l’hostilité (al-tashadud) de Walid Pharès à l’égard de l’islam, rappelant son passé de militant dans les rangs des Forces libanaises et son rôle de fondateur de l’Union démocratique chrétienne dans les années 80.

On s’attendait à une réflexion quant aux effets de l’élection américaine sur les conflits du Proche-Orient, et voici qu’on nous sert l’argument ad hominem pour dénoncer l’isolationnisme (al-in’izaliya) d’un chercheur au passé militant, qui a fait carrière aux États-Unis dans la mouvance conservatrice. Serait-ce un écho des vieilles querelles idéologiques qui enflammèrent la scène libanaise, avec le déclenchement de la guerre civile en 1975 ? Ce règlement de comptes sous forme de frappe préventive est-il l’œuvre d’un orphelin du Mouvement national qui ameute le Web, l’air de dire : « Méfiez-vous, voici le CV du personnage qui risque de décider de nos destinées, son casier judiciaire n’est pas rassurant : il a fait sa carrière à l’ombre du Front libanais » ?

Et certes, Walid Pharès, juriste de formation, avait été actif dans la « résistance chrétienne ». Ah, mais quelle sorte de reproche est-ce ? Comme si avoir fait ses classes chez les Mourabitoun, ou avoir démarré sa carrière au PSP ou au PPS, ou dans d’autres officines financées ou télécommandées par Abou Ammar, pouvait constituer un pedigree plus honorable !

Toutes les milices se sont alors rendues coupables d’exactions, de nettoyages ethniques et de crimes de droit commun, pour ne citer que ces délits. Et puis a-t-on oublié que nos chefs de guerre respectifs, ces « princes du sang versé », se sont retrouvés à la même table des gouvernements respectifs, assis côte à côte pour assurer la gestion des affaires publiques ? S’indigner est tout à fait légitime, mais s’indigner de manière sélective ne porte pas !

Mais revenons au texte alphanumérique précité, où c’est le recours à l’amalgame qui nous interpelle, l’acte d’accusation comportant entre autres les deux chefs suivants :

1- Walid Pharès a considéré en son temps, et d’après le texto, qu’il y avait deux cultures distinctes au Liban, la culture chrétienne qui est par essence démocratique et la culture islamo-arabe qui l’est moins ou pas du tout*.
Or cette catégorisation est, à notre avis, pernicieuse. Elle ne traduit pas la réalité des choses et ne sert qu’à la justification communautaire. On est loin de la confrontation soulignée par le père Sélim Abou s.j.** entre « la valeur occidentale du montagnard libanais et la situation médiocre du fellah, qui est historiquement un sous-développé »***.
C’était déjà dur à avaler !
Mais Walid Pharès allait pousser le bouchon encore plus loin. Il avait préconisé la ségrégation entre groupes libanais et prônait le développement séparé. C’était s’inspirer de certaines thèses de la « white supremacy », si courantes dans certains milieux du Sud des États-Unis.
Cette prise de position est, pour nous, moralement condamnable. Le Liban est le pays des communautés juxtaposées, mais il ne saurait être un pays d’apartheid. Et puis, nous baignons tous, toutes communautés confondues, dans une sphère de culture islamo-arabe, sur une façade méditerranéenne ouverte aux influences occidentales.

2- D’après ledit texto, Walid Pharès se serait élevé contre la dilution (al-tazwib) des communautés chrétiennes dans la masse musulmane. Et alors! Est-ce sujet à reproches ? Les minorités ont quand même le droit de préserver leurs acquis et de protéger leur mode de vie. On ne peut leur reprocher de tenir à leurs traditions ancestrales. Il faut craindre par-dessus tout les abus de la majorité. Il n’y a pas de démocratie si des groupes ethniques ou religieux sont sous-représentés ou si leurs droits collectifs sont bafoués. Et surtout garder à l’esprit que la Déclaration des droits de l’homme ne vise qu’à protéger les droits des individus : en ce sens, elle ouvre la voie à la marginalisation des minorités.

Cela dit, il est grand temps de recentrer les débats et de préciser les thèmes de mobilisation.
Appeler à la protection des minorités et à la préservation de leurs spécificités, ce n’est pas appeler à une alliance entre minorités, qu’elle soit défensive ou offensive. Ce n’est pas non plus prôner le développement séparé. Et c’est encore moins plaider l’apartheid !

*Walid Phares, « Pluralism in Lebanon », Kaslik, 1979 ; « The Lebanese thought and the thesis of Arabization », Dar el-Sharq Press, 1980.
**Sélim Abou, « Le bilinguisme arabe-français au Liban », Paris, 1962.
***Dominique Chevallier, «La société du Mont-Liban à l’époque de la révolution industrielle en Europe », Paris, 1982, p.21.