La Syrie, 2011-2021, ou le pays des impasses alternées
Charles Elias Charouni/March 15/2021
“Être roi c’est idiot, ce qui compte c’est de faire un royaume”
André Malraux
Un simple survol de la scène syrienne nous renvoie aux impasses alternées ou entrecroisées d’une dictature sanguinaire, aux nihilismes d’un pays éclaté et à ceux de l’islam contemporain, aux impérialismes prédateurs et à l’échec de la modernité politique sous toutes ses formes. Deux années après la défaite de l’État islamique et dix ans après le commencement de la guerre civile et ses clones, le découpage des zones d’influence entre la Russie, la Turquie et l’Iran, et la restauration du régime génocidaire de Bachar al Assad, au faîte d’une Syrie en ruines, incapable de se reconstruire tant politiquement que sur les plans socio-économique et humanitaire et de retrouver place dans le concert des nations, on retrouve les traits de cette modernité arabe exténuée qu’exhibent les effondrements du système inter-étatique, les béances stratégiques en expansion et les délitements structurels qui renvoient à des sociétés qui n’ont plus d’autres registres que la violence et les dislocations d’un ordre social en miettes.
Le comble du malheur est l’état d’esprit de l’idiot sanguinaire qui se croit victorieux à terme et capable de déjouer les desseins des prédateurs qui l’ont remis en place, et régner de nouveau sur ce royaume de ruines et de morts, en n’ayant d’autres promesses que ses délires, son cynisme, et les cruautés de cet état d’ “ensauvagement” généralisé que lèguent les cinquante ans de la dictature Baathiste et ses doubles communautaire et tribal. L’inanité de l’intervention russe est illustrée par sa vacuité, elle ne renvoie qu’aux élucubrations d’un impérialisme vétuste, sans aucun plan de relève politique ou économique ou des ressources qui puissent aider ce pays meurtri à sortir des ornières d’un conflit sans fin (gestion des conflits pérennes). Les prédateurs n’ont, habituellement, d’autre perspective que de sanctuariser leurs zones d’influence, se jouer des contradictions d’une société décharnée et sans aucune ossature qui lui autorise d’envisager des plans de reconstruction endogène. Sinon, les islamismes n’ont d’autre rêve que d’étendre la géopolitique d’un nihilisme meurtrier et mutant, et les dynamiques ethno-politiques sont en quête de stabilisation et de sanctuarisation au cœur d’un maelström généralisé où rien ne semble tenir.
C’est à partir de ce constat sobre et amère qu’il faudrait repenser l’éventualité d’un règlement politique qui mette fin à ces vides emboîtés et aide les syriens à clore des cycles conflictuels sans fin. Les diplomaties occidentales sont sommées de relancer une diplomatie d’urgence, doublée d’une sanctuarisation de leurs positionnements stratégiques, en vue de redonner des chances au règlement négocié sur la base des accords de Genève et d’une restructuration fédérale de la géopolitique syrienne qui mettent un terme aux politiques de domination et de contre-domination, aux dérives oligarchiques d’un État central corrompu et meurtrier, et aux injustices historiques et leurs conflits mémoriels. Les schémas de stabilisation en cours ne font,en réalité, que reproduire et reporter des conflits, cultiver des ressentiments et renvoyer ce pays aux extraversions d’une géopolitique éclatée, à la mort de l’État territorial, à l’instrumentalisation des convulsions géopolitiques par des impérialismes en état de choc frontal, et aux avatars macabres de l’islam contemporain et ses nihilismes sans rebords.