Charles Elias Chartouni/Le retrait d’Afghanistan entre impératifs et aléas/ شارل الياس شرتوني: الانسحاب الأميركي العسكري من أفغانستان بين المقتضى والمخاطر

61

Le retrait d’Afghanistan entre impératifs et aléas
Charles Elias Chartouni/April 20/2021
 شارل الياس شرتوني: الانسحاب الأميركي العسكري من أفغانستان بين المقتضى والمخاطر
The withdrawal from Afghanistan between imperatives and hazards

Le retrait d’Afghanistan marque la fin d’un long épisode (2001-2021), fortement coûteux (776 milliards de dollars, dont 197.3 milliards, coûts de reconstruction du pays, 1909 soldats tués, 20.717 blessés…), aux parcours sinueux et aux objectifs mutants. Loin de correspondre aux schémas de politique étrangère de la première administration de George W. Bush (2000-2008), cette intervention infléchira non seulement les axes de politique étrangère des USA, mais ceux de la politique internationale confrontée par le défi du terrorisme islamiste et ses bornes nébuleuses. L’intervention avait pour objectif de détruire les bases opérationnelles du terrorisme islamiste planétaire, et non la reconstruction d’un État failli qui avait du mal à se remettre de la guerre avec l’Union Soviétique (1979-1989), faire avec ses conflits inter-ethniques exacerbés, et pouvoir se donner les faux-semblants d’une existence étatique. La destruction des bases opérationnelles de la Qaida, la continuation des guerres civiles inter-afghanes qui se sont greffées sur les nouveaux enjeux du terrorisme islamiste, et la reconstruction du pouvoir central n’ont pas, jusque-là, créé une dynamique de paix qui puisse mettre fin aux aléas d’une géopolitique convulsée.

Les États Unis et la coalition de l’OTAN ont mené des tâches symétriques: la destruction des réseaux et bases terroristes (al Qaida et les Taliban), la pacification et la stabilisation relative de ces immenses espaces en friche, les infrastructures du pouvoir central, et les politiques de développement intégré (institutions administrative et judiciaire, infrastructures, santé, éducation, gestion des éco-systèmes, émancipation des femmes,…), alors que, paradoxalement, la nouvelle administration s’était, d’ores et déjà, engagée, à renoncer à “la politique étrangère comme travail social”.

L’assassinat d’Oussama Ben Laden au Pakistan (2 Mai, 2011) mettra fin à la figure totémique du terrorisme islamiste, mais il était loin de détruire la dynamique qu’il avait propulsée dans le monde islamique, et de sceller la réédification de l’Afghanistan sur des bases géopolitique et étatique stables. Deux décennies se sont écoulées et la tâche est loin d’être achevée, alors que les États Unis et leurs alliés se préparent à un retrait presque total qui laisse en suspens une série d’interrogations sur l’avenir de l’Afghanistan, les chances d’une paix civile, la réhabilitation du havre terroriste, et la protection des acquis qu’une politique de développement intégré a pu léguer.

La question lancinante qui n’a jamais cessé de se poser est celle de l’éventualité d’une stabilisation géopolitique au cœur d’un ordre régional hautement controversé, au croisement des clivages ethno-religieux trans-frontaliers, des politiques de puissance en situation de choc frontal ( Pakistan, Inde, Iran, Chine et Républiques islamiques d’Asie Centrale), et des segmentarités tribales. La partition de l’Afghanistan n’a cessé de buter sur la volatilité d’un ordre géopolitique aux enchevêtrements multiples, où les règlements historiques n’ont jamais donné lieu à des frontières reconnues, et la mise en place de structures étatiques stables. En contrepartie, les rivalités inter-ethniques( Pachtoune 45.4/100, Tadjik 22/ 100, Hazara 9.7/ 100, Ouzbek 8.4/ 100….) n’ont jamais pu déboucher sur des arrangements politiques négociés qui mettent terme aux guerres civiles larvées ou en cours, et aux politiques de domination en gestation continue. Le retour des Talibans au pouvoir va remettre en question la paix civile, la viabilité de l’État central, les acquis en matière de développement économique et social (plus particulièrement le statut des femmes), relancer les dynamiques souterraines des conflits inter-ethniques et des politiques de puissance à l’intérieur de l’Afghanistan et sur les interfaces trans-frontalières.

Cet État-tampon arrivera t’il à arrimer ses conditions d’existence hautement hypothétiques sur des bases stables et durables, rien n’est plus aléatoire. Le retrait des États Unis s’effectue à partir des prémisses impulsées par la nouvelle guerre froide, les défis politique et économique posés par la Chine qui est désormais, non seulement, en quête de nouveaux marchés, mais de nouvelles configurations géopolitiques pour mettre en remorque sa politique de conquête impériale, la Russie qui essaye de remédier à ses déficits économique et démographique par des projections impériales surdimensionnées, et les avatars du terrorisme islamiste.

Sinon, les dilemmes stratégiques de cette géopolitique creuse et aux contours mutants, devraient s’articuler sur des enjeux de stabilisation étatique, de paix civile, de gouvernance fonctionnelle et d’instrumentalisations politiques à géométrie variable. La controverse que la question du retrait va susciter est loin d’être finie, elle ne fait,d’ailleurs, que commencer.