Interrogations en série sur le prochain congrès de Washington pour protéger les chrétiens d’Orient

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Interrogations en série sur le prochain congrès de Washington pour protéger les chrétiens d’Orient
LIBAN
Sandra NOUJEIM | OLJ28/08/2014

Un congrès est prévu à Washington, du 9 au 11 septembre prochain, sur le thème du soutien aux chrétiens dans la région, qu’il entend aborder sous un angle plus concret face à la montée du fondamentalisme. Il entend surtout sensibiliser l’opinion américaine sur la situation des chrétiens dans la région et stimuler une dynamique de pression au sein du Congrès en vue d’obtenir une protection des minorités délaissées, presque livrées aux groupes takfiristes et contraintes à l’exode. Un autre enjeu serait d’arracher au Conseil de sécurité de l’Onu une résolution qui irait dans le sens de « la protection des minorités face à l’extrémisme ». Il est prévu de créer un comité, ou une fondation, pour mettre en œuvre les recommandations du congrès.
Force est de noter que l’événement fait suite à la visite de sept jours d’une délégation du Vatican au nord de l’Irak, doublée d’une visite de « solidarité » du patriarche maronite à Erbil qui a permis de « témoigner directement » de la détresse des chrétiens « déracinés de leur terre ». Les témoignages ainsi recueillis ont fait l’objet d’un rapport, rédigé par Bkerké, que le patriarche, Mgr Béchara Raï, se chargera de soumettre aujourd’hui au Vatican où il entame une visite, avant de se rendre à Washington pour prendre part au congrès en question.
Celui-ci sera donc marqué par une importante présence ecclésiastique : le Vatican y déléguera le cardinal Fernando Fernando Filoni, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, et le cardinal Leonardo Sandri, préfet de la Congrégation des Églises orientales; les Églises orientales seront représentées par le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, accompagné par le vicaire épiscopal, Mgr Boulos Sayyah ; le patriarche syriaque-catholique Mgr Ignas Joseph III et le patriarche syriaque-orthodoxe Ignas Ephrem II répondront également à l’appel.
Au niveau de la représentation libanaise, le vice-président de la Fondation maronite dans le monde, Nehmat Frem, ainsi que son trésorier, Charles Hajj, prendront part à l’événement « à titre personnel ». La Ligue maronite sera représentée en principe par son président, Samir Abillama, sinon par un membre de la Ligue.
Des membres du Congrès américain sont également attendus à l’événement, aux côtés des chrétiens de la diaspora. Pour ce qui a trait aux factions politiques libanaises, la participation de toutes ces parties, y compris le Futur, a été au moins annoncée, même si elle n’a toujours pas été confirmée, notamment au niveau des partis du 14 Mars.
(Pour mémoire : Les frontières du nouveau Moyen-Orient seront-elles tracées avec le sang des chrétiens ?)
C’est donc une scène d’échanges efficaces, au niveau des décideurs, qui est attendue à Washington ; de quoi raviver les espoirs des peuples pour une intervention occidentale en leur faveur, quand bien même le congrès est réduit à l’angle, critiquable, des minorités persécutées.
Ces assises seraient-elles une mise en scène, une pure façade, servant des intérêts irano-syriens finement dissimulés ?
Des sources bien informées à Washington révèlent en effet à L’Orient-Le Jour le contexte de ce congrès. Derrière la fondation IDC (In Defense of Christians-Pour la défense des chrétiens) qui organise le sommet, se trouve Gilbert Chaghouri, un homme d’affaires d’origine libanaise, établi au Nigeria. « Proche du Hezbollah, il veille sur les commerces que détiennent ses partisans en Afrique », affirment les sources précitées. Soupçonné par les agences fédérales américaines de « financer le terrorisme du Hezbollah », il aurait été « arrêté il y a quatre ans à l’aéroport par les autorités américaines pour des raisons liées à ses affaires au Nigeria », croient savoir les sources susmentionnées.
« Ayant toujours soutenu le chef du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun, Gilbert Chaghouri avait tenté d’intégrer le secteur du pétrole au Liban, par le biais de l’ancien ministre de l’Énergie et de l’Eau Gebran Bassil », affirment ces mêmes sources. Mais un conflit d’influence non politique, lié à la nomination des membres du Conseil national du pétrole, aurait rompu les liens entre les deux hommes, incitant Chaghouri à se tourner vers le député Sleimane Frangié, l’autre chrétien fort du 8 Mars. Son alliance avec l’axe Hezbollah-Amal-Marada devait se traduire, avant la montée du takfirisme, par une tentative de « stimuler le nerf chrétien à Washington » et de convaincre les décideurs américains de la théorie de l’alliance des minorités, aboutissant au maintien du président syrien Bachar el-Assad au pouvoir. L’idée d’un congrès à Washington avait alors émergé. « La naissance de l’État islamique a conduit à réorienter l’idée de ce congrès exclusivement vers la lutte contre le fondamentalisme sunnite, mais seulement pour justifier et renforcer la moumanaa et la dictature qu’elle défend », soulignent les sources de Washington.
Le nom du magnat du pétrole, Jamal Daniel, proche du régime syrien, est également associé à celui de Gilbert Chaghouri, pour ce qui a trait au congrès. Ses intérêts avec l’Iran seraient de nature purement financière : il serait le principal bénéficiaire des contrats d’exploitation de pétrole en Iran, conclus après l’ouverture de Washington sur Téhéran. Son ambition actuelle serait de remporter les adjudications pour le forage pétrolier au Liban.
L’un des intervenants au congrès le plus mis en avant par l’IDC est celui de James Zoghbi. Selon les sources de Washington, « son centre de recherches, Arab American Institute, est financé par l’Iran. Son parcours personnel n’a, de surcroît, jamais été en faveur des chrétiens. Il avait toujours affiché, depuis la guerre civile, une hostilité aiguë envers les chrétiens ».
Afin d’attirer des membres du Congrès américain, l’IDC se servirait de références au 11-Septembre, ajoutent les sources.
Les milieux du 14 Mars au Liban se contentent, quant à elles, d’émettre des réserves sur « le financement douteux » du congrès. Néanmoins, « aucune position ne sera prise par rapport à l’événement avant d’en examiner les résultats », soulignent-ils à L’OLJ, s’abstenant de confirmer la participation des partis du 14 Mars au congrès.
(Reportage : Un pan d’église déraciné)
Pourtant, sur le fond, la théorie de l’alliance des minorités, combattue avec virulence par le 14 Mars, risque de s’exacerber et d’acquérir une solide couverture à l’issue de cette congrès. Le « politiquement correct » du 14 Mars, voire sa confusion, lorsque ses sources sont interrogées sur le congrès, contraste pourtant avec sa vision claire portant sur la place des chrétiens dans la région. « Nous refusons toute frilosité qui justifierait un ralliement aux dictatures ou même la sollicitation d’une aide étrangère », affirme Farès Souhaid à L’OLJ. « C’est une alliance islamo-chrétienne, modérée et citoyenne, qui est seule à même d’édifier les États arabes sur le long terme. Un chrétien qui se fait assassiner par l’EI est comme le sunnite qui se fait assassiner par le régime ou par les takfiristes. On ne saurait différencier les victimes et encore moins les bourreaux ». Un point de vue que l’ancien député exposera dimanche au cours du congrès de Saydet el-Jabal qui se tiendra à l’hôtel Gabriel, à Achrafieh.
Il est des signes qui annoncent déjà un écart entre cette approche centrée sur le vivre-ensemble et les résultats susceptibles de se dégager du congrès de Washington.
Pour sa part, Samir Abillama, président de la Ligue maronite, relève « une différence entre les groupes takfiristes et les dictatures, les secondes étant organisées, ce qui ouvre la voie à des solutions ». Il s’abstient de dénoncer explicitement la répression du régime syrien, quand bien même il défend « une approche humaine des communautés ». La même ambiguïté se dégage d’ailleurs de toute la rhétorique de Bkerké sur l’alliance des minorités. L’on ignore jusque-là si ce discours défend ou rejette cette théorie.
« Je suppose que lorsque les participants au congrès verront le mutisme des intervenants sur les crimes commis par le régime syrien, ils comprendront tout l’enjeu de l’événement », conclut Walid Pharès, laconique, à L’OLJ.

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