Charles Elias Chartouni/L’Afghanistan, l’Iran et l’arc des conflits interminables/شارل شرتوني: افغانستان وايران وقوس النزاعات التي لا تنتهي

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شارل شرتوني: افغانستان وايران وقوس النزاعات التي لا تنتهي
L’Afghanistan, l’Iran et l’arc des conflits interminables
Charles Elias Chartouni/September 16/2021

Quelques semaines après le retrait des États Unis et la fin de l’épisode qui a succédé aux attaques terroristes du 9 septembre 2001, l’Afghanistan se heurte à l’incapacité des Talibans à pouvoir gérer l’administration et les finances publiques, résoudre les problèmes économiques et sociaux et faire face à la famine massive qui en résulte, à la résurgence de l’hydre islamiste avec son totalitarisme et ses dérives pathologiques misogynes, au retour de la terreur, à la de-légitimation météorique du régime naissant, et aux aléas sécuritaires d’un pays aux contours géopolitiques controversés. En outre, les Talibans étalent au grand jour leurs divisions internes, et leur incapacité à pouvoir se projeter en acteur cohérent sur la scène afghane, se délier de l’internationale terroriste islamiste, et affirmer leur indépendance à l’égard des politiques de puissance islamique ( Pakistan, Arabie Saoudite, Qatar, … ), alors qu’ils revendiquent leur reprise de contrôle des friches afghanes. Les paradoxes dans lesquels se débat cette mouvance terroriste sont insolubles pour des raisons multiples se rapportant à son misonéisme, son totalitarisme islamique, ses liens de consubstantialité avec le terrorisme islamiste, et son instrumentalisation par les politiques de puissance dans un espace afghan en état de dislocation structurelle. Les difficultés de positionnement sont dues à l’impossibilité de démêler les enjeux, arrêter les priorités, se distancer par rapport aux bailleurs de fonds et pouvoirs de tutelle, se démarquer des contraintes idéologique et stratégique, et doter le simulacre d’État afghan d’une autonomie normative et opérationnelle minimale, alors qu’en réalité toute l’infrastructure institutionnelle est annexée par les politiques de partage de butin des coalitions tribales mutantes et leurs doubles mafieux et terroriste.

Les conditions dirimantes au travail de réformes structurelles et de modernisation sont suffisamment contraignantes pour empêcher la mise en œuvre des stratégies de changement. Les chances de normalisation des rapports avec la communauté internationale butent sur des interdits religieux, des contraintes stratégiques, des objectifs terroristes et des intérêts mafieux, et de réinstallation des contrôles hermétiques d’un totalitarisme islamique sans nuance. Leur seul point de contact avec le reste du monde est induit par l’acuité des crises humanitaires en cascade, et la gravité des questions stratégique et géopolitique qui leur sont rattachées. Or la normalisation requiert des ancrages institutionnels solides dotés d’une autonomie morale, et animés par une volonté d’insertion dans les règles de la vie internationale, qui font communément défaut. L’Afghanistan reprend son statut de terre abandonnée, de marginalité politique et socio-économique, de terre d’élection du terrorisme islamiste et d’indicateur séismique dans une aire géopolitique dépourvue de tout équilibre.

L’Iran, de son côté, représente un cas d’école, nommément, celui d’un pays et d’une configuration révolutionnaire qui se débattent avec des aléas stratégique et géopolitique multiples, un récit révolutionnaire entièrement discrédité, des crises économique, sociale, morale, et environnementale d’une extrême gravité, et une crise politique mortelle qui remet en question les mythes fondateurs de la révolution islamique, la légitimité de ses institutions et des dérives oligarchiques et mafieuses qui les caractérisent. La politique de subversion régionale qui s’est construite à l’ombre des accords sur le nucléaire (Vienne 2015), a fini par remettre en cause le bien-fondé de la diplomatie de contrôle de la militarisation du nucléaire civil, révéler les visées impériales de l’Iran islamique, les aléas sécuritaire et stratégique d’une géopolitique aux équilibres incertains, et le lien entre les politiques de déstabilisation et la survie du régime.

Le régime islamique considère que la normalisation sur le plan international induit la libéralisation sur le plan domestique, dans un contexte où la rupture entre la société civile et les sphères concurrentes de l’oligarchie révolutionnaire ne cesse de croître en attendant la rupture. Le retour en force des extrémistes illustré par l’élection du tortionnaire du régime islamiste, Ibrahim Raissi, la réaffirmation de la doxa islamiste, la poursuite de la politique de déstabilisation tous azimuts, la pugnacité de la terreur d’État, le pari sur un ordre international alternatif structuré autour de l’axe russo-chinois, et les impondérables de la scène politique américaine et ses incidences sur la politique mondiale et les intérêts stratégiques de l’Occident, expliquent largement les louvoiements des négociations en cours sur le nucléaire, et la volonté de déjouer la politique des sanctions américaines, et de l’endiguement multilatéral que projettent les États Unis. Le régime iranien n’est pas en quête de normalisation, il est dans la manœuvre et le gain du temps en vue d’achever sa nucléarisation militaire, et poursuivre sa politique de déstabilisation régionale.

Nous sommes confrontés, dans les deux cas de figure, à des scénarios de contournement, de navigation indéterminée dans les interstices d’un ordre régional et international aux contours imprécis qui mènent inévitablement à la violence. La fermeté stratégique et les politiques de conditionnalité s’imposent, d’ores et déjà, comme autant d’entrées pour traiter ces dossiers, et mettre fin aux illusions dont se nourrissent les politiques islamistes et les mouvances terroristes qui évoluent dans leur orbite.