Charles Elias Chartouni: La fin de l’ère afghane et les nouvelles questions stratégiques/شارل الياس شرتوني: نهاية العهد الأفغاني وتساؤلات استراتيجية جديدة

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شارل الياس شرتوني: نهاية العهد الأفغاني وتساؤلات استراتيجية جديدة
La fin de l’ère afghane et les nouvelles questions stratégiques
Charles Elias Chartouni/September 02/2021

La fin de l’ère afghane marque, non seulement, la fin de l’épisode inauguré par les attaques terroristes du 9 septembre 2001, mais également des enjeux stratégiques qui lui étaient propres. Le retrait des États Unis n’est que l’épilogue d’un processus qui a été entamé en 2014 avec le désengagement progressif des troupes de la grande coalition qui a été formée au lendemain des attaques. Contrairement à la doxa qui veut avaliser l’idée d’une débâcle, on gagnerait à relativiser les bienfaits et les méfaits de cette intervention coûteuse et ses résultats aléatoires. Il faudrait, somme toute, reconnaître l’inévitabilité de ce retrait et son opportunité, alors qu’il n’y a pas de consensus sur ces substituts et qu’on est loin de contrôler les impondérables stratégiques qui vont lui succéder. Sinon, la fin de cet épisode a remis au devant de la scène les grands enjeux sécuritaires de l’OTAN et l’impérative nécessité d’en définir les nouvelles coordonnées, les apories de la modernité dans les pays d’islam et ses effets entropiques, la résurgence des scénarios de la guerre froide avec ses modulations contextuelles inédites, l’installation dans la durée de la terreur islamiste comme donne sécuritaire s’articulant sur de multiples axes aussi bien externe qu’interne, ainsi que l’enjeu des politiques de développement international et leurs liens avec la mise en œuvre des politiques extérieures. Nous faisons face à la remise en question des paradigmes et des politiques en cours et à la nécessité de retrouver des schémas et des scénarios alternatifs.

Le retour des talibans vingt ans, après leur défaite en 2001, nous renvoie aux limites de la politique du “Nation Building” prônée les néo-conservateurs américains, qui ont vu dans les attaques terroristes de 2001, les symptômes d’une modernité islamique faillie et son rôle dans la création du pathos nihiliste, alors que l’administration de George W. Bush s’en défendait en prenant ses distances vis à vis de la politique étrangère comme travail social (Condoleeza Rice). Le schéma de la reconstruction étatique à partir d’un centre fédérateur à Kaboul a été contre-productif, en donnant lieu à la formation d’une oligarchie qui émargeait à l’aide internationale, alors qu’elle construisait les réseaux souterrains d’une économie mafieuse mise en place de collusion avec les Talibans, les seigneurs de guerre, et les divers clans régionaux (le régime de Hamid Karzai). Cet État fut, en somme, une créature hybride structurée à l’intersection de l’État prédateur et de l’État relais dont se servaient les politiques de puissance régionales. L’administration, quoique compétente et bien intentionnée, d’Ashraf Ghani n’a pu que surfer sur des réalités bien installées et sur lesquelles elle n’avait pas de prise, qui rend compte de la débâcle abrupte du régime en place.
L’irrédentisme tribal, les politiques islamistes de satellisation ( Pakistan, Qatar, Arabie Saoudite, al Qaida et DAESH… ) et la prévalence de l’économie criminelle, ont fini par avoir raison des politiques réformistes mal avisées. D’aucuns prônaient le maintien d’une force internationale qui aiderait l’administration centrale à Kaboul et contrerait les mouvements terroristes, comme solution aux éventuelles vacances sécuritaires qui risqueraient d’émerger, sans pour autant relier cette politique à des réformes de gouvernance qui mettraient fin aux contradictions du simulacre stato-national en vigueur, ou s’appesantir sur sa viabilité. il est impératif de surveiller les orientations politiques des Talibans, maintenir les sanctions économiques et assortir toute coopération à une politique ferme de conditionnalité portant sur un programme de réformes (politiques publiques, droits humanitaires et droits des femmes, arrêt de toute coopération avec les terrorismes islamistes dont ils font partie, destruction des infrastructures de l’économie criminelle, comme préludes à toute aide en matière de développement), mettre en place une politique de désarmement ou de destruction systématique des arsenals légués à l’armée nationale défunte. Le contrôle de cette mouvance terroriste islamiste se heurte à des luttes d’influence internes, des irrédentismes idéologique et tribal, à l’incompétence totale des cadres dirigeants en matière de gouvernance, leur contrôle par les politiques de puissance islamiques, et les rapports symbiotiques qu’ils entretiennent avec les galaxies du terrorisme islamiste. La grande question demeure sur la viabilité de ce régime et l’éventualité d’une stabilisation géopolitique dans un terrain miné, qui ne fait que répercuter les impondérables d’une géopolitique en éclats, et les apories d’un monde qui vit sur les interstices d’une modernité entièrement faillie. La mise en place d’une plateforme opérationnelle en vue de surveiller les mouvements terroristes et préparer les interventions militaires intempestives, devrait faire partie intégrante du logiciel sécuritaire occidental.

La réforme de l’OTAN sur la base des reconfigurations stratégiques à l’œuvre depuis la fin de la guerre froide, devrait remettre en question le stade unipolaire et unilatéraliste au profit de la logique judicieuse des alliances de circonstance initiée par George Bush senior, redéfinir les marqueurs de souveraineté territoriale à l’ère de la mondialisation, les impératifs de stabilisation géopolitique et ses corrélations en matière de développement international, l’enjeu des migrations internationales sur la base de croisement des variables, politique, économique, sécuritaire et humanitaire en vue de mettre fin aux dynamiques induites par les géopolitiques de faillite, et la fin de l’exception islamique au profit des canons organisateurs de l’ordre politique en démocratie libérale. L’absence de coordination, lors du dernier retrait d’Afghanistan, devrait inviter à réflexion sur les scotomes idéologique, politique et opérationnel et l’absence de consensus, qui ont marqué cette phase de transition et empêché la mise en œuvre de politiques cohérentes. Le logiciel du désordre normalisé est peu prégnant et trop coûteux et ne peut, sous aucun rapport, avaliser des politiques intempestives induites par les faits accomplis et les travers idéologiques d’une post-modernité sans paradigmes et sans repères d’action. Le retrait d’Afghanistan est loin d’être la victoire des Talibans ou la défaite des américains, mais il marque la fin d’un ordre international sans arêtes et d’une politique sans grammaire, il faudrait remettre de l’ordre dans les schémas avant d’aborder les contradictions sans rebords d’un monde éclaté.