Charles Elias Chartouni/L’Afghanistan et l’inévitable guerre civile/Hezbollah, Taliban et consorts, ou les revers de la modernité dans l’islam contemporain/شارل شرتوني: أفغانستان والحرب الأهلية المحتومة/حزب الله طالبان واصناؤهم او هزيمة الحداثة في الاسلام المعاصر

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شارل شرتوني/حزب الله طالبان واصناؤهم او هزيمة الحداثة في الاسلام المعاصر

شارل شرتوني/أفغانستان والحرب الأهلية المحتومة

Hezbollah, Taliban et consorts, ou les revers de la modernité dans l’islam contemporain
Charles Elias Chartouni/August 24/2021

L’Afghanistan et l’inévitable guerre civile/شارل شرتوني/أفغانستان والحرب الأهلية المحتومة
Charles Elias Chartouni/August 24/2021

In memoriam, Jean François Deniau (Politique, diplomate, aventurier, architecte des résistances anti-communistes dans le monde, écrivain et membre de l’académie française, 1928-2007), l’architecte de la résistance afghane contre les soviétiques et éminence grise du Commandant Ahmet Chah Massout, notre grand ami et mentor.

La fin de l’épisode afghan nous rappelle le rôle prophétique de Jean François Deniau et sa vision stratégique qui ne cesse de nous interpeller, vingt après l’échec de la stratégie de reconstruction de l’Afghanistan sur les mêmes bases qui ont menées aux impasses historiques qu’on connaît (lire son livre, Deux heures après minuit, Grasset 1985). La vallée du Panchir, rendue célèbre par Le commandant Ahmet Chah Massout du temps de l’invasion soviétique, regagne son statut emblématique de foyer de résistance contre les Talibans, revenus au pouvoir après le long intermède des vingt ans qui ont succédés aux attaques terroristes du 9 septembre 2001, et à l’assassinat du chef résistant. Amrullah Saleh, le président en exercice d’Afghanistan, en se repliant sur la vallée du Panchir, envoie un message double aux Talibans: soit la négociation ou la guerre. Les chances d’une négociation avec les Talibans s’avèrent, d’ores et déjà, caduques et l’éventualité de la guerre civile reprend le dessus de la scène, comme pour entériner une fois de plus, l’impossibilité d’une solution négociée avec la mouvance islamiste des Pachtouns, la fragilité des équilibres géopolitiques en lice, et les rapports de consubstantialité entre les Talibans et les mouvements terroristes ( DAECH, al Qaida, Lashkar e Taiba…) et leurs relais tribaux (le clan des Haqqani).

Les préparatifs militaires en vue d’attaquer la vallée du Panchir en disent long sur les intentions des Talibans, qui annoncent, d’ores et déjà, leur volonté de renouer avec leur statut de terroristes islamistes, signifier le caractère fictif de l’État afghan et le refus de rejoindre la communauté internationale. Leurs options de base n’ont pas dévié d’un iota comme n’a cessé de le réaffirmer, Ahmad Rachid (le grand spécialiste pakistanais des affaires afghanes), depuis le commencement des négociations de Doha (29 février 2020). Nous voilà revenus à la case de départ qui renvoie aux scénarios suivants: 1/ L’appui au noyau de la résistance représenté par la mouvance du commandant Massoud, et la reconstitution des alliances afin de contenir l’avancée des talibans; 2/ la formation d’une coalition militaire multinationale en vue de détruire les plate-formes opérationnelles des talibans et empêcher l’émergence des réseaux de terreur; 3/ la mise en action des sanctions internationales en vue de casser les simulacres étatiques montés par les talibans, détruire leurs réseaux de criminalité organisée (culture du pavot, contrebande en tous genres) et déjouer leur duplicité; 4/ remettre en discussion la géopolitique du sous-continent indien en vue de remodeler les configurations en place et mettre fin à leurs impasses. Le retrait des USA et de la coalition internationale qui s’est organisée au lendemain des attaques terroristes du 9/11, 2001, devrait donner lieu à une restructuration en profondeur de l’OTAN en vue de définir les nouveaux axes stratégiques, et sortir des démarches aporétiques qui procèdent de choix dirimants (Rivalités russo-chinoises vs théâtres opérationnels moyen orientaux…), de l’unilatéralisme stratégique, et de la mise à mort des alliances stratégique et opérationnelle de circonstance ou de principe.

Les alliances stratégiques ont toujours fait leur preuve dans la défaite des totalitarismes du XX siècle(Nazisme, Communisme), ainsi que dans la politique d’endiguement durant la guerre froide ( Europe, Sud Est asiatique, Amérique latine, Moyen orient…) et dans la guerre contre le terrorisme islamiste. La fin de l’épisode du 11 septembre 2001, loin d’être entièrement problématique, devrait inaugurer une ère de révisionnisme géopolitique qui mettrait fin aux vides stratégiques, aux louvoiements des satrapies d’Arabie illustrés par les bailleurs de fonds du terrorisme islamiste (Qatar, les factions concurrentes des Saoud, les cheikhs véreux de l’UEA, l’Iran, la Turquie), les visées et convulsions des impérialismes islamiques en état de choc frontal ou latéral (Iran, Turquie, Qatar, Arabie Saoudite…). La fin de cette ère était inévitable, mais elle devrait donner lieu à une vision stratégique alternative et mettre fin aux vides géopolitiques et à la fièvre islamiste dont se nourrissent les nihilismes qui bloquent toutes perspectives de changement dans cet univers morbide qui s’empare du monde musulman de part en part.
§ Peintures de Shamsia Hassani (1988, peintre et universitaire
afghane)

 

حزب الله، طالبان واصناؤهم، او هزيمة الحداثة في الاسلام المعاصر
Hezbollah, Taliban et consorts, ou les revers de la modernité dans l’islam contemporain
Charles Elias Chartouni/August 24/2021

Indépendamment des contextes propres aux deux mouvements millénaristes*

inspirés par le khomeinisme et le wahhabisme, ils répercutent chacun à son propre niveau les crises systémiques propres aux sociétés musulmanes, les eschatologies politiques qu’ils ont générées, les pathologies mentales qui leur servent de levier, et les paradoxes d’un monde écartelé entre des croyances et des impasses induites par une modernité faillie. Loin de constituer des cas sui generis, ces mouvements relèvent d’une typologie qui a été abondamment étudiée dans le cadre des anthropologies post-coloniales. Les traits communs répertoriés: la sécularisation de l’eschatologie et le salut par le politique, le retour à un état présumé de pureté originelle et le virage vers la terreur, le mythe du monde renversé …. Ces mouvements sont les produits de la modernité dans la mesure où ils reproduisent ses contradictions, ses promesses faillies, ses échecs et apories, et leurs conduites effectives ne font que manifester les anomies propres à des sociétés où le corpus islamique est instrumentalisé comme caution à des pratiques de terreur et de criminalité qui viennent s’ajouter à l’actif déjà lourd des structures sociales éclatées.

Ce qui est inquiétant dans le cas des sociétés politiques de l’islam contemporain, c’est la prédominance de ce récit idéologique et la mise en place des verrouillages qui contribuent à l’installation des totalitarismes idéologiques et des glacis stratégiques, et fournissent des prétextes idéologiques à l’ensauvagement, et à la création d’un contexte approprié à l’éclosion des psychoses collectives et de la haine de l’autre comme revers de la haine de soi. L’échec patent de ces mouvements, tant au niveau de la gouvernance et du rapport au reste du monde, (je ne dirais pas aux autres États, parce que ces mouvements ne peuvent en aucun cas se reconnaître dans les notions d’État de droit et instituer des rapports inter-étatiques) se laisse compenser par les enfermements idéologiques, le règne de la terreur, l’anomie sociale, et l’accès au reste du monde par la voie de la criminalité organisée et des actions terroristes étayées par la jurisprudence islamique.

Les effondrements consécutifs de l’ordre géopolitique, socio-économique et normatif requièrent une approche méthodologique et stratégique qui s’articule sur la base d’un continuum qui aide à comprendre les enjeux et définir les politiques conséquentes. Toute approche politique qui ferait l’économie de ces causalités complexes et enchevêtrées, finirait par échouer et multiplier les effets pervers d’une méthodologie étriquée. Ces mouvements totalitaires ne peuvent survivre que moyennant des contextes de crise, des rééditions de scénarios de guerre froide, un ordre géopolitique en état d’implosion, des sociétés en état de dislocation diffuse (Afghanistan) ou de simulation continue de crises (Liban), la différence entre les deux cas de figure tenant au fait que les deux contextes géopolitiques ressortent à des temporalités sociales décalées et leurs registres politiques propres. L’extension des aires névralgiques dans cette partie du monde rend plus que jamais impérative la mise au point des politiques d’endiguement, de stabilisation et de mise en œuvre des réformes structurelles et des coalitions qu’elles requièrent. L’emboîtement des vides stratégiques n’étant plus gérable, le temps est désormais à la mise en œuvre d’un nouvel ordre régional qui mettrait fin aux nihilismes qui se succèdent et aux dystopies meurtrières qui leur servent de récit.
*Voir, Charles Chartouni, le messianisme politique, une étude
paradigmatique, Annales de Sociologie et d’Anthropologie,
Vol.5,1994, FLSH-Université St.Joseph.