Charles Elias Chartouni: Les inconséquences devant la terreur/شارل الياس شرتوني: المفارقات أمام الإرهاب

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Les inconséquences devant la terreur
Charles Elias Chartouni/July 30/2021
شارل الياس شرتوني: المفارقات أمام الإرهاب

L’attaque terroriste du 4 août 2020 marque un tournant dans la vie politique libanaise dans la mesure où nous passons d’un régime de simulation démocratique à celui de la terreur. Le parcours de l’enquête a été faussé au point de départ lorsque l’éventualité d’une investigation internationale, celle d’une investigation conjointe, et d’une causalité politique ont été éliminées au profit d’une hypothèse de travail purement administrative dont le but est de reconstituer les faits d’une criminalité ordinaire attribuée aux dysfonctionnements multiples d’une autorité portuaire corrompue et défaillante. Il s’agit, en effet, d’une enquête basée sur des prémisses fausses dont le but est d’écarter toute étiologie politique, et induire un climat de terreur qui dissuaderait toute action légale et civile qui remettrait en question le récit que les pouvoirs en place essayent d’imposer. L’action des juges successifs s’est distinguée par son mutisme au point qu’on s’interrogeait sur le bien fondé de leur démarche, et leur entière soumission aux diktats politiques qui leur sont prescrits.

Les raisons, jusque-là obscures, de la démission du juge Fadi Sawan, le silence prolongé de son successeur, Tarek Bitar, l’obstruction faite par le parlement et le ministre de l’intérieur aux mandats d’arrêt des premiers ministres, ministres, députés et directeur de la sûreté générale, et les menaces directes ou voilées émises par les mouvances du fascisme chiite, sont suffisamment explicatifs des omissions qui ont scandé l’ensemble de la démarche, à commencer par l’interdiction d’accès à la scène du crime par les services de sécurité du Hezbollah, le blocage des interventions humanitaires dépêchées par les démocraties occidentales( la Croix Rouge, les ONG internationales, les corps d’État … ), la manipulation du site en vue de brouiller le travail d’investigation criminelle, le rejet de toute coopération internationale en matière de justice, l’apathie totale des autorités à l’endroit du drame humanitaire et leur refus de coopération aux chantiers de reconstruction, fournissent un faisceau d’indicateurs qu’on gagnerait à retenir pour comprendre la lenteur des procédures, le brouillage des repères, le sabotage juridique, et la mise en orbite du pouvoir judiciaire moyennant des complicités avérées et le délitement avancé de la justice dans ce pays.

À l’instar de tous les crimes politiques que notre pays a connus durant les quinze dernières années et leurs antécédents, la justice libanaise instrumentalisée par les fascismes chiites et leurs actionnaires politiques à tous les niveaux (parlementaire, judiciaire et exécutif) a sciemment oblitéré la nature politique de ces crimes, et elle a été relayée par le tribunal international (2005) et ses conclusions hypothétiques quant à l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri et autres acteurs politiques de la mouvance du 14 Mars, la qualité institutionnelle des acteurs (il n’y a que Salim Ayache apparemment), aux relais logistiques et la trame politique dense qui le sous-tend. l’impunité au long parcours, la servilité du pouvoir judiciaire et ses complicités transversales, le règne de terreur généré par les assassinats successifs, la complicité objective de la majorité parlementaire, la division du travail entre les ailes des fascismes et mafias chiites représentés par l’alliance entre Nasrallah et Berri, la collusion de Michel Aoun et sa formation politique, et la subordination complète du cabinet de Hassan Diab, ont créé les conditions d’un coup d’État qui a entièrement détruit les règles de la vie institutionnelle, et pavé la voie à une politique de domination qui a remis en cause la norme démocratique, la légitimité nationale du pays, ses consensus historiques et sa viabilité, tout en laissant planer l’hypothèse d’un remaniement géopolitique qui s’inscrit dans le cadre des bouleversements stratégiques que connaît le proche orient.

Loin d’être un accident technologique dû à la vénalité et incompétence de l’administration portuaire, l’explosion proto-nucléaire du 4 août 2020, est un acte prémédité de terreur monté par le Hezbollah en vue de sceller une dynamique de changement politique, démographique, socio-économique et urbaine qui viendrait à bout des équilibres socio-politique en place au bénéfice d’un présumé condominium chiite-sunnite aux recoupements multiples, ouvertement affiché par Nabih Berri lors d’une discussion avec Fouad al Sanioura et le club des oligarques sunnites “venons en à un arrangement entre nous autres, alors que les chrétiens partent”. L’enquête a besoin de se repositionner sur des axes nouveaux, et l’action de la société civile devrait se saisir de cet acte de terreur pour réaffirmer la primauté de la souveraineté nationale, et redonner à l’État de droit sa place angulaire dans l’agencement de la vie politique. La justice qu’on ne cesse de réclamer depuis cette infâme journée du 4 août 2020 est non négociable et n’aurait aucune chance d’aboutir dans le cadre des rapports de force en lice, l’encadrement des institutions internationales étant un recours inévitable afin de réaffirmer la prééminence du droit sur les rapports de force. À défaut, on voit mal quel serait l’avenir d’un pays subverti, sans ancrages institutionnels, sans repères normatifs et voués aux vides emboîtés d’une région en éclats.